Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Jonas Roisin - 12 septembre 2022

Du rap à l’iac #3 EKOUE

Une publication par mois. Des paroles à lire et à écouter, scandées par mes rappeuses et rappeurs favori.e.s.

Une thématique : l’enfance et son regard sur les appartenances familiales et culturelles qui l’entoure.

Les artistes post modernes que sont les auteurs et autrices de rap nous inspirent depuis quarante ans.

J’aime leurs corpus où s’entrechoquent en poésie le réel raconté et l’enfance remémorée. Adolescents, nous sommes nombreux.ses à y avoir trouvé un style et des paroles denses sur lesquels nous appuyer, en résonnance avec nos tentatives de constructions identitaires plurielles.

L’IAC reste au contact des mutations anthropologiques qui nous affectent en post modernité, tout en accueillant les singularités de nos parcours de vie, rythmés par les attachements, les pertes et les séparations. Le nom John Bowlby sonne d’ailleurs comme un parfait pseudonyme de rappeur.

Cette série de publications est une invitation à l’écoute de l’approche clinique des rappeurs et des rappeuses sur le monde à vivre.

3ème morceau : Blessé dans mon égo 
Écriture : EKOUE

Traverser l’adolescence et écouter ce texte d’Ekoué.

Plongé dans les tumultes multiculturels de la capitale, témoin des embrouilles, inquiet de la violence, mais pouvoir écouter encore et encore ce morceau « Blessé dans mon égo ». Merci Ekoué pour le témoignage familial et la critique des systèmes assimilationnistes et dictatoriaux. Et merci pour la langue, embellie par son verlan.

Blessé dans mon égo 
Ekoué

Devant les cle-ons du bled, devant la famille
Pas de hip-hop machin, pas de pantalon aux chevilles c’est sûr
Le genre de truc qui ne conçoivent pas de rigolos
Plutôt une baffe dans la gueule et un aller Paris-Togo
Car je suis un métèque ça oui mais je ne viens pas d’Italie
Mais d’une ex-colonie aujourd’hui sous dictature
Ici, pas de temps à perdre copain
Quand on a le pif dans la merde et l’épiderme d’un africain
Mieux vaut se taire, faire ses affaires prendre son blé
Faire péter les diplômes ou se dépenser en faculté
C’est comme ça, là-bas le peura ça veut dire quoi ?
C’est clair que pour la famille, j’ai pas le temps de jouer à ça
« Tes amerloques, tu les laisses où ils sont !
Leur culture bidon, leur façon de foutre leurs pantalons
En clair, ces années de sévices, de sacrifices
C’est pas pour que tu grandisses et que la douce France t’applaudisse
Ici, t’es en mission pas en clown fiston
En blacks qui chantonnent et apparentés à des clones
Tant de bons et loyaux services et de boulots à contre-cœur
C’est pas pour que tu finisses une terreur chez les rappeurs »
Voilà ce que la famille, en clair, me répond
Quand je parle à la première personne et que j’hausse trop le ton
En clair, ça ne demande pas d’explications
C’est fondé, le genre de raisonnement qui te cloue le bec à l’arrivée
J’y songe car rien n’éponge un passé de rapatrié
Des visas falsifiés, faux papiers de clando
J’y pense, reste qué-blo et blessé dans mon ego
J’y pense, reste qué-blo et blessé dans mon ego

L’expatrié du coin te parle, eh quoi de neuf cousin ?
A l’heure où trop de putes jouent la carte de l’assimilation
Ici ou là le même schéma, le même statu quo
Perdu le cul entre deux chaises, seul face à mon ego

Les vols archi-complets, express, charters UTA
Des bagages à main rembourrés de colis pour les mamas
Arrivée, température locale 37 degrés nets
Un léger vent sec souffle, le soleil frappe fort
Les vêtements trempés, le corps mouillé à l’aéroport
Changement de décor, ici des militaires armés
Une photo du président collée aux casquettes
Des douaniers en vestes kaki
Au regard apparemment froid mais tranquilles avec toi
Quand tu leur ché-la des CFA
Bref, état de déprime sous une chaleur maritime
Torpeur unanime pour un putain de régime
La famille m’attend, devant les grands-parents je me tiens droit
Je l’écrase quand on me demande est-ce que les études ça va ?
Les compliments défilent, quelques cousins se parlent et me bré-chan
« Qu’est-ce que c’est que ces sapes et ces manières de petit blanc ?
Des baskets en cuir, un jean alors qu’il crève de chaud, négro
Atterris où tu veux, pas au Togo
Redescends sur terre ou barre-toi dans un 4 étoiles
Plein de Parisiennes à poil en train de faire de la planche à voile »
Conscient que le phénomène est inverse
Que là-bas c’est pas les ressortissants français qui manifestent
Chez moi, tout de même, avec l’adjectif franco –
Un putain de terme en trop qui me blesse droit dans mon ego
Un putain de terme en trop qui me blesse droit dans mon ego

L’expatrié du coin te parle, eh quoi de neuf cousin ?
A l’heure où trop de putes jouent la carte de l’assimilation
Ici ou là le même schéma, le même statu quo
Perdu le cul entre deux chaises, seul face à mon ego

Le cul entre deux chaises, un permis de conduire aux frontières
Ici, une carte d’identité française périmée
Mon gros nez, mes tifs crépus et secs annulent sa validité
C’est certain
Après tout, je m’en fous, là où je suis vex’
C’est que le contexte actuel et dans lequel j’évolue me colle au cul
Un statut de paria ici, d’intrus en cance-va au bled
Une culture dissoute et corrompue de A à Z
Beaucoup sont dans mon cas mais ne le revendiquent pas trop
Aveugle ou parano, personne ne ment à son ego
Aveugle ou parano, personne ne ment à son ego

Lien You Tube : https://www.youtube.com/watch?v=R0AKWWYulpA